Celui qui me mange vivra par moi

Frères et sœurs, avons-nous faim du Christ ? Il vient de nous dire de façon solennelle : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous ». Ces paroles sont tellement mystérieuses, voire « scandaleuses », qu’après les avoir entendues, « beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner » (Jn 6,66). Mais, comme nous l’avons déjà dit à propos de la Sainte Trinité dimanche dernier, « un mystère, ce n’est pas ce que l’on ne peut pas comprendre, mais ce que l’on n’a jamais fini de comprendre » (saint Augustin) … Les paroles de Jésus sont à la fois concrètes et spirituelles. C’est pourquoi il a ajouté : « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. » (Jn 6,63) N’oublions pas que Jésus tient sa chair à la fois de Marie, sa mère, et de l’Esprit Saint. Que signifie « manger la chair » du Christ ? Cela signifie communier à son corps eucharistique, bien sûr, mais pas seulement. Le Christ se donne à nous de différentes façons, que nous ne devons jamais dissocier. « Dans la célébration de la messe où est perpétué le sacrifice de la croix, le Christ est réellement présent dans l´assemblée elle-même réunie en son nom, dans la personne du ministre, dans sa parole et aussi, mais de façon substantielle et continuelle, sous les espèces eucharistiques » (Présentation Générale du Missel Romain, n° 9). C’est ce que l’encens manifeste : nous encensons l’autel au début de la messe après la procession d’entrée, puis le livre de la Parole au moment de l’évangile, puis le pain, le vin, les ministres et toute l’assemblée lors de l’offertoire. Nous devons donc « manger le Christ » sous toutes ces formes. Alors, ne me dévorez pas et ne dévorez pas votre voisin, même si le Christ est réellement présent en moi et en l’assemblée ;), mais ayons tous faim de lui. Je vous propose de méditer sur les 3 principales façons par lesquelles le Christ se donne à nous pendant la messe : le prêtre et l’assemblée d’abord, la Parole ensuite, l’eucharistie enfin.

 

Pour commencer, le Christ se donne dans le prêtre et dans l’assemblée. Saint Paul vient de nous dire : « Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (2° lect.). Dans plusieurs de ses lettres, il souligne que nous formons un seul Corps, dans lequel chaque membre a son importance et sa mission. Le prêtre célèbre « in persona Christi capitis », c’est-à-dire au nom du Christ-tête. Il le représente non comme on représenterait un absent, quand on va voter par procuration par exemple : « il n’agit jamais au nom d’un absent, mais dans la Personne même du Christ ressuscité, qui se rend présent à travers son action réellement concrète. Il agit réellement et réalise ce que le prêtre ne pourrait pas faire : la consécration du vin et du pain, afin qu’ils soient réellement présence du Seigneur, et l’absolution des péchés » (Benoît XVI[i]). Mais le Christ est présent également en chaque membre de l’assemblée. Souvenons-nous de ce qu’il a dit à Saul de Tarse, sur le chemin de Damas : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » (Ac 9,4)

Cette dimension communautaire du Corps du Christ est plus que jamais importante aujourd’hui, dans notre société hyper individualiste où certains se « cachent » derrière leurs écrans. Après avoir sauvé plusieurs enfants de leur agresseur vendredi à Annecy, Henri, un jeune homme de 24 ans, a affirmé ensuite que n’importe quel Français aurait fait comme lui. J’aimerais que ce soit vrai. Pour expliquer son geste qui paraissait si naturel et simple, il a affirmé clairement aux journalistes qu’il était chrétien et qu’il avait fait très jeune une rencontre forte avec le Christ. Lui qui est à la recherche du beau en faisant le tour de toutes les cathédrales de France, a réalisé un acte d’une grande beauté.

 

Ensuite, le Christ se donne dans la Parole qui est proclamée. La table de la Parole est aussi importante que la table eucharistique. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » (1° lect.), comme Jésus l’a rappelé à Satan dans le désert, et comme nous l’entendons le premier dimanche du Carême chaque année. Le prophète Jérémie l’avait si bien compris qu’il écrit : « Quand je rencontrais tes paroles, je les dévorais ; elles faisaient ma joie, les délices de mon cœur. » (Jr 15,16) Le Christ est « le Verbe de Dieu » (Jn 1), la Parole de Vie. Cette parole ne se contente pas de nous informer, elle peut nous former et nous transformer. Le prophète Isaïe le dit de façon bucolique, en comparant la parole de Dieu à la pluie et la neige qui fécondent la terre, « donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger » (Is 55,10) Et l’auteur de l’épître aux Hébreux l’exprime de façon plus « militaire » : « elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants… elle juge des intentions et des pensées du cœur. » (He 4,12) Mais cette parole, pour accomplir sa mission, a besoin d’esprits « affamés », comme ceux des pèlerins d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » (Lc 24,32) S’ils ne le sont pas, la Parole de Dieu tombera comme une graine au bord du chemin, ou sur du sol pierreux, ou au milieu des ronces (Mt 13). Chaque jour, prenons du temps pour nous informer des nouvelles du monde, mais surtout pour nous laisser former par Dieu.

 

Enfin, le Christ se donne dans le pain et le vin consacrés. Le missel romain précise qu’il est présent « de façon substantielle et continuelle », et c’est pourquoi nous pouvons aussi le contempler et l’adorer dans l’exposition du Saint Sacrement. Cette pratique est née au XIII° siècle, à une époque où les chrétiens communiaient peu parce qu’ils ne voulaient pas le faire sans s’être confessés d’abord. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse, beaucoup communient sans régulièrement se confesser et adorer le Saint Sacrement. Dans le même temps, d’autres en sont empêchés à cause de leur état de vie, les divorcés remariés notamment. Cette situation signifie deux choses. La première est que si nous sommes autorisés à communier, nous devons nous assurer que nous sommes en état de grâce, et recevoir le Christ avec beaucoup de reconnaissance, conscients que beaucoup n’ont pas cette chance. La seconde est que si nous ne sommes pas autorisés à recevoir le corps eucharistique du Christ, nous pouvons communier spirituellement – comme le Pape François l’avait rappelé au début du premier confinement – en profitant d’autant plus de ses autres formes de présence.

 

Alors, frères et sœurs, ayons faim du Christ, qui se donne à nous de diverses manières. Nourrissons-nous davantage de lui, afin de vivre davantage. Dans le passé, on offrait à Dieu des sacrifices pour obtenir la vie. Mais avec le Christ, c’est Dieu qui se donne à nous pour nous offrir cette vie éternelle, la vie en abondance à laquelle nous aspirons. En quittant cette église tout à l’heure, n’oublions pas qu’il continuera de se donner à nous, notamment à travers les personnes que nous rencontrerons. Et nous-mêmes, donnons-nous à elles en nourriture, surtout à celles qui auront besoin de notre aide : « ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25) Jésus a bien dit : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Le monde a faim d’amour, de vérité, de justice, de paix… Nourrissons-le en lui offrant nos paroles, nos corps, et tout ce que nous sommes. « Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés ! » (Lc 6,25)

P. Arnaud

[i] Audience générale du 14 avril 2010.