Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion

Frères et sœurs, notre cœur est-il semblable à celui du Christ, brûlant d’Amour, comme nous l’avons célébré vendredi ? En cette période estivale où beaucoup d’entre nous vont voyager, notre foi va-t-elle rester chez nous dans un placard, « au repos », ou allons-nous l’emmener avec nous pour en témoigner auprès de ceux et celles que nous rencontrerons ? Comme le pape François l’a écrit, nous ne pouvons pas être disciples du Christ sans être en même temps missionnaires. Toute la vie chrétienne ressemble aux battements de notre cœur, qui reçoit le sang avant de l’envoyer dans tout l’organisme : sans cesse, nous devons nourrir notre foi, mais aussi en témoigner. Ce double mouvement est particulièrement visible dans la messe que nous célébrons : après nous être nourris de la Parole et du Corps du Christ, nous serons appelés à les communiquer autour de nous lorsque nous entendrons : « allez dans la paix du Christ ». Dans la célébration en latin, le prêtre disait : « ite, missa est ; allez, vous êtes envoyés », d’où le mot de « messe ».  D’où vient ce double mouvement ? Du Christ lui-même : au début de son évangile, saint Marc note qu’il en « institua douze pour qu’ils soient avec lui, et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 14) Depuis ce moment, il les a formés par sa parole et par ses actes. Il décide maintenant de les envoyer à leur tour. Le Seigneur ne veut pas transformer le monde sans nous, il nous propose de collaborer à sa mission. Comment pouvons-nous y parvenir, alors que, comme les apôtres eux-mêmes, nous sommes souvent lents à croire et à comprendre ? Le Christ nous propose un cheminement en 4 étapes. Il nous invite à compatir, prier, collaborer et discerner.

 

Pour commencer, le Christ nous invite à la compassion. « Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. » Aujourd’hui, il y a tant de problèmes dans le monde – et surtout nous en sommes tellement conscients, grâce à nos moyens de communication – que nous pourrions être tentés de nous endurcir. Certes, nous ne pouvons pas assister tous ceux qui ont besoin d’aide. Mais nous ne devons pas non plus rester insensibles. Vendredi dernier, nous avons célébré le Sacré Cœur de Jésus, ce cœur brûlant d’amour. Ce jour-là, nous avons entendu dans l’évangile : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. » (Mt 11,28) Dans l’épître aux Romains, saint Paul écrit : « Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. » (Rm 12,15) Et après avoir évoqué sa préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Églises, il écrit aux Corinthiens : « Qui donc faiblit, sans que je partage sa faiblesse ? Qui vient à tomber, sans que cela me brûle ? » (2Co 11,29) Saint Dominique était réputé comme le plus joyeux de tous les frères pendant le jour, mais on l’entendait crier la nuit : « Aie pitié de ton peuple, que vont devenir les pécheurs ? » Et la constitution Gaudium et Spes du concile Vatican II commence par ces mots : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » (§1) Gardons toujours un cœur sensible, en nous souvenant que c’est là l’œuvre du Saint-Esprit qu’avait annoncé le prophète Ezéchiel : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon Esprit. » (Ez 36,26-27)

 

La compassion est nécessaire, mais pas suffisante. Il fait lui adjoindre la prière. C’est la première mission que Jésus donne à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Souvent, nous sommes tentés d’agir trop vite. Il est important de prendre conscience que ce n’est pas nous qui allons sauver le monde, et de rester à notre place. C’est ce que saint Benoît avait bien compris : « Ora et labora » est la maxime centrale des bénédictins. De même, saint Ignace de Loyola disait : « Prie comme si tout dépendait de Dieu… et agis comme si tout dépendait de toi ». Commencer par prier non seulement nous rend humbles devant le Seigneur mais nous permet aussi de prendre des forces et d’avoir une vision claire sur le travail que nous devons réaliser.

 

C’est alors que nous pouvons aller à la rencontre des brebis « désemparées et abattues ». De quelle façon ? D’abord, nous devons collaborer. Jésus lui-même n’a pas voulu accomplir sa mission seul. « Alors il appela ses douze disciples » et les évangélistes nous révèle le nom de chacun. Notons qu’ils sont nommés deux par deux, et qu’ils seront envoyés deux par deux. L’intérêt est double : d’une part il permet de se soutenir mutuellement : « Mieux vaut être deux que seul. En cas de chute, l’un relève l’autre ; mais qu’en est-il de celui qui tombe sans personne pour le relever ? Là où un homme seul est renversé, deux résistent, et le fil triple ne rompt pas facilement. » (Qo 4,9‑12) D’autre part, le compagnonnage permet de vivre la charité « en actes et en vérité » (1Jn 3,18): « ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » (Jn 13,35)

 

Par ailleurs, Jésus confie à ses disciples une mission claire : il « leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. » Puis Jésus précise davantage : « Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. » Non seulement il leur donne le contenu de leur mission, mais aussi ses limites : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. » Après sa résurrection, Jésus leur dira : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,19) Mais pour le moment, ils doivent se concentrer sur leurs frères et sœurs juifs. Notre société cherche à supprimer toutes les limites. Le Seigneur, au contraire, nous en donne tout simplement parce que nous sommes des créatures et que nous sommes donc limités nous-mêmes (que nous soyons pape, évêque, curé, ou simple baptisé…) Nous devons tous concentrer nos efforts dans telle ou telle direction, conscients que nous ne pouvons pas tout faire, et que nos collaborateurs ou nos successeurs agiront autrement et pourront compléter notre travail. Chacun de nous doit discerner la mission à laquelle le Seigneur l’appelle. « Qui trop embrasse mal étreint », et nombre de burnouts sont liés à ce désir d’en faire trop et à cette dispersion. Les grands hommes ont su canaliser leur énergie dans une seule direction.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous appelle à unir notre cœur au sien afin de ressentir avec lui de la compassion pour les brebis « désemparées et abattues » de notre monde, et pour leur annoncer la bonne nouvelle du royaume des Cieux. Mais puisque nous avons tous des limites, nous devons d’abord prier le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson et agir tous ensemble, en discernant ce que le Seigneur nous demande personnellement. Voici une prière que la liturgie nous propose régulièrement, et que nous pouvons reprendre à notre compte aujourd’hui : « Aux appels de ton peuple en prière, réponds, Seigneur, en ta bonté : donne à chacun la claire vision de ce qu’il doit faire et la force de l’accomplir. » Vierge Marie, toi dont le cœur est parfaitement uni à celui de ton Fils, intercède pour nous afin que tous ensemble, nous puissions collaborer à sa mission !

P. Arnaud