Dieu veut que tous les hommes soient sauvés

Frères et sœurs, partageons-nous le désir de Dieu que « tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité » (1 Tm 2,4) ? Bien avant saint Paul, les prophètes l’avaient déjà révélé, en particulier Isaïe : « Ma maison s’appellera Maison de prière pour tous les peuples » (1° lect.) En cette période de relativisme dans la société d’une part, et alors que l’Eglise a appris à reconnaître toujours mieux les semina verbi (les semences du Verbe) présentes dans les autres religions d’autre part, certains chrétiens pourraient être tentés de faire de l’Eglise une gigantesque ONG internationale, en laissant chacun « tranquille » avec « sa » vérité (« à chacun sa route ») et en se contentant de combattre la misère matérielle. Certes, les gestes de solidarité (qui concernent les ressources matérielles mais impliquent aussi la fraternité humaine) sont importants d’une part, et le prosélytisme et les guerres de religion qui l’ont accompagné doivent être évités à tout prix d’autre part. Pour autant, nous ne pouvons pas laisser la lampe sous le boisseau (Mt 5,15). « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1Co 9,16) Notre mission, en tant que chrétiens, est de répandre partout la Bonne Nouvelle à la suite de notre Maître : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49) Paradoxalement, dans l’évangile de ce dimanche, Jésus semble d’abord refuser d’exaucer la femme païenne qui lui demande son aide : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » En réalité, il ne s’agit pas d’un véritable refus mais d’une épreuve pour mettre sa foi en lumière : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » La guérison de l’enfant de cette femme est un signe qui anticipe ce que le Seigneur veut pour tous ses enfants. Si Jésus n’a été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël, ce n’est pas parce qu’il les aime davantage que les païens, mais parce que le dessein de son Père s’inscrit dans le temps. La mission des disciples après lui sera justement d’aller dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création. (Mc 16,15) Mais ici, comme avec le centurion romain qui lui a demandé de guérir son serviteur malade (Mt 8,5-13), Jésus fait une exception pour préfigurer cette mission qui est la nôtre aujourd’hui. Comment l’accomplir ? La mission passe par les paroles, par les actes, mais d’abord par la prière. Pour nous aider, mettons-nous à l’école de la Cananéenne, puisque Jésus a magnifiquement exaucé la sienne. Comme elle, prions avec charité, avec une foi persévérante et dans l’humilité.

 

Premièrement, prions avec charité. La femme ne prie pas pour elle-même, mais pour sa fille, qui est tourmentée par un démon. Elle ressemble à la Vierge Marie, qui prie Jésus pour les convives de Cana : « Ils n’ont pas de vin. » (Jn 2,3) Ou encore au centurion romain qui vient voir Jésus pour lui demander de guérir son serviteur. Parfois, notre prière est égoïste, que nous demandions quelque chose pour nous ou pour les autres. Par exemple, nous prions pour notre réussite à un examen ou dans notre carrière, ou pour celle de nos enfants, mais sans nous demander en quoi cette réussite pourra servir au bien des autres. Ici, les disciples font preuve d’égoïsme eux aussi. Eux aussi s’approchent pour lui faire une demande : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! » S’ils prient Jésus, c’est seulement pour être débarrassés de la Cananéenne et retrouver leur tranquillité.

Si nous aimons une personne, nous désirons pour elle le meilleur, à savoir le salut, qui signifie la béatitude éternelle. Est-ce que nous prions pour nos proches et pour d’autres avec cette intention ? Demander la guérison physique de quelqu’un, c’est bien, mais n’oublions pas la santé de son âme !

 

Deuxièmement, prions avec foi. La Cananéenne reconnaît en Jésus non seulement le « fils de David », mais même le « Seigneur », et elle le prie avec persévérance, alors que sa réponse semble d’abord négative. La persévérance est une composante essentielle de la foi, dont la racine est celle du mot « rocher », comme le mot « amen » nous le rappelle. La foi ne se laisse pas détruire par les contrariétés. Souvenons-nous de la parole de Jésus : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (Mt 7,7) ou encore la parabole de la veuve importune (Lc 18,1-8). Parfois, le Seigneur nous fait attendre, et d’autres fois il nous exauce en plusieurs étapes, comme l’aveugle de Bethsaïde, qu’il guérit en deux temps (Mc 8,22-26).

 

Troisièmement, prions avec humilité. Alors que Jésus lui dit qu’« il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens », la Cananéenne ne s’offusque pas, au contraire. Le pain dont parle Jésus est celui que nous demandons au Père : « donne-nous notre pain de ce jour ! » C’est d’abord le pain matériel, mais c’est aussi celui de la Parole de Dieu, qui nourrit notre âme, et que Jésus vise ici particulièrement. En déclarant que ce pain est réservé aux enfants, exclut-il les païens ? Non puisqu’eux aussi sont appelés à devenir les enfants de Dieu. Simplement, il éprouve le cœur de cette femme. Dieu ne nous tente jamais (d’où le changement de traduction du Notre Père il y a quelques années) mais il nous éprouve parfois pour nous purifier, comme l’or qu’on passe au feu. La réponse de la femme est magnifique : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Non seulement elle accepte d’être considérée comme un petit chien, mais elle renchérit sur la parole de Jésus, appelant les Juifs ses « maîtres ».

 

Ainsi, frères et sœurs, comme cette femme a obtenu le salut pour sa fille, nous pouvons l’obtenir nous aussi pour certains. Si parfois nous ne sommes pas exaucés, c’est que nous demandons aut mali, aut male, aut mala disait saint Augustin[i] : aut mali, en étant mauvais ;  aut male, en demandant mal, avec manque de foi, de persévérance, d’humilité… ; aut mala, en demandant des choses mauvaises, ou qui, pour une raison ou une autre, ne nous conviendront pas. Les saints nous donnent l’exemple. Au 4° siècle, sainte Monique pria pendant des années pour le salut de son fils Augustin, et elle fut finalement exaucée au-delà de ses désirs. Au 13° siècle, saint Dominique passait ses nuits à prier : « que vont devenir les pécheurs ? » et il accompagnait ses prières le jour par tant de zèle pour l’évangélisation que beaucoup de Cathares et de déçus de l’Eglise se convertirent. Plus près de nous, la petite Thérèse, sitôt après sa transformation de la nuit de Noël 1886, pria pour la conversion de Pranzini, un assassin qui avait été condamné à mort. Elle persévéra plusieurs mois dans sa prière, en offrant des petits sacrifices, et elle eut finalement la joie immense de se voir exaucée le jour même de l’exécution, lorsque Pranzini demanda à embrasser le crucifix. Et nous, pour qui allons-nous demander le salut ? Tant de personnes se perdent autour de nous, même certains qui sont pourtant chrétiens ! Cette semaine, allons à la conquête des âmes, conscients que nous-mêmes ne pouvons rien, mais que le Seigneur peut et veut agir à travers nous. Et s’il nous semble que le Seigneur ne nous exauce pas, ne perdons pas l’Espérance et prenons exemple sur l’apôtre des nations, qui souffrit jusqu’au bout de l’incrédulité de beaucoup de ses frères juifs. Il comprit que « Dieu a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (2° lect) et qu’un jour ceux qui ont été temporairement mis à l’écart seront réintégrés. Prions comme si tout dépendait de Dieu… et agissons comme si tout dépendait de nous. Faisons-nous « tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns ! » (1 Co 9,22)

P. Arnaud

[i] La Cité de Dieu, 20,22