Mon âme exalte le Seigneur

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ». Frères et sœurs, vivons-nous dans l’action de grâce ? Nous demandons beaucoup de choses au Seigneur, et nous avons raison, car nous sommes pauvres et fragiles, et Lui-même nous invite à agir ainsi. Le Notre Père, la prière chrétienne par excellence que le Christ nous a enseignée, est ainsi constituée de 7 demandes. Mais s’il est important de présenter nos demandes à Dieu, nous ne devons pas oublier de Lui rendre grâce. Une des premières choses qu’on enseigne à un enfant, c’est à dire « s’il te plaît », mais aussi « merci ». Alors, disons-nous souvent merci au Seigneur ? Cette fête de l’Assomption est particulièrement adaptée pour le faire. La Vierge Marie nous montre en effet l’exemple. Le Magnificat, que nous venons d’entendre, est le plus bel hymne d’action de grâce exprimé par une créature. Certes, Marie l’a dit ou chanté au moment où elle était devant sa cousine Elizabeth, peu de temps après avoir appris qu’elle deviendrait la Mère du Sauveur. Mais on peut dire que c’est tout au long de sa vie qu’elle a dû le chanter dans son cœur[i]. Au moment où elle a été emportée au Ciel pour rejoindre son Fils et son Créateur, comment ne pas imaginer qu’elle a chanté le Magnificat avec tout son cœur, avec les mêmes mots ou avec d’autres semblables ? Alors, comme elle, puisons à une triple source, d’où jaillira continuellement notre action de grâce : l’Espérance, la Foi et la Charité.

 

En premier lieu, puisons à la source de l’Espérance. Notre société en manque terriblement. Pour beaucoup, la mort est la fin de tout et c’est pourquoi d’une part on la craint tellement (souvenons des réactions face à la pandémie de Covid), et d’autre part on cherche à profiter au mieux de la vie présente en évitant à tout prix la souffrance. En tant que Chrétiens, nous avons reçu la grâce immense d’un but pour nos existences. Sénèque disait qu’ « il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va ». J’ose ajouter que pour nous, il n’y a pas de mauvais vent, car un bon marin sait se diriger dans la bonne direction quelle que soit celle où il souffle[ii]. Or, où allons-nous ? Vers le Ciel, où la Vierge nous attend avec son Fils. Comme l’écrit saint Paul, « le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité » (2° lect.). Cela signifie non seulement que notre âme est éternelle, comme les Egyptiens le croyaient bien avant nous, mais aussi notre corps. Certes, contrairement à Jésus et Marie qui n’ont pas connu le péché, notre corps terrestre connaîtra la corruption, et nous devrons assumer la souffrance de nous en séparer. C’est d’ailleurs parce que ce moment, qui correspondra à notre rencontre avec Dieu et à notre jugement particulier, sera décisif, que nous prions la Vierge, dans le Je vous salue Marie, de prier pour nous maintenant et à l’heure de notre mort. Ces 2 moments sont intrinsèquement liés : c’est maintenant que nous préparons l’heure de notre mort, maintenant que le Seigneur nous appelle à lui livrer notre vie pour qu’Il puisse nous sauver et nous transformer entièrement. C’est le sens même du mot Assomption, qui vient d’assumere en latin : prendre auprès de soi, assumer. Le Seigneur a tout assumé de notre vie, « il a vécu notre condition d’hommes en toute chose, excepté le péché » (prière eucharistique n°4).  Comme le disaient les Pères de l’Eglise, « ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». Cela signifie que nous devons accepter d’être en vérité devant le Seigneur. N’y a t-il pas des traits de ma personnalité, des actes que j’ai posés ou que je pose encore, que je préfèrerais cacher à mes propres yeux et aux yeux de Dieu ? Mais c’est justement cela en moi que Jésus désire assumer pour le sauver et le transformer, pourvu que j’accepte de le lui livrer.

 

Une deuxième façon de nourrir en nous l’action de grâce est de puiser avec Marie à la source de la Foi. Notre salut et notre transformation constituent pour nous une sorte de nouvel enfantement. Or Marie est notre Mère qui nous enfante via notre Foi à la vie divine. Jésus a dit : « La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. » (Jn 16,21) C’est vrai de toute femme mais en particulier de Marie. Elle est la femme de l’Apocalypse que Jean décrit comme « torturée par les douleurs de l’enfantement » (1° lect.). Ces douleurs qu’elle n’a pas connues (privilège unique) avec son Fils, elle les connaît avec nous. Elles sont dues à nos péchés, à nos manques de Foi, qui nous font résister à notre enfantement à la vie divine. Il faut dire que nous sommes poussés à cette résistance par le Dragon, que l’Écriture appelle aussi « l’antique serpent »[iii]. Il s’est d’abord « posté devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance ». Comment ne pas songer au massacre des saints innocents, perpétré par Hérode (Mt 2,16-18) ? Mais « l’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place ». Allusion à la fuite en Egypte… Comme Dieu a veillé sur la Sainte Famille, Il veille aussi sur nous, il nous suffit de l’écouter pour bénéficier de sa protection, comme l’ont fait Joseph et Marie.

Ils ne se sont pas contentés de fuir, ils ont appris à leur enfant à résister au mal. C’est particulièrement vrai de la Vierge, comme le Caravage l’a bien compris en la représentant avec Jésus en train de fouler aux pieds le serpent (voir la Madone des palefreniers à Rome[iv]). Le démon n’a aucune prise sur Jésus et sur Marie mais il en a sur nous, c’est pourquoi nous devons rester sous leur protection. Lorsqu’avec eux, nous résistons au mal et nous laissons enfanter à la vie divine, il y a une immense joie dans le ciel (cf Lc 15,7).

 

En troisième lieu, pour susciter en nous l’action de grâce, nous pouvons puiser à la source de l’Amour. La Vierge Marie, dans le Magnificat, exprime d’abord à Dieu sa reconnaissance pour ce qu’Il a fait pour elle (« mon Sauveur … s’est penché sur son humble servante… le Puissant fit pour moi des merveilles ») mais elle n’oublie pas ce qu’Il a fait pour les autres (« sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » et la suite). Et sa présence même auprès de sa cousine, vers laquelle elle est venue pour partager sa joie et pour aider dans sa grossesse, témoigne aussi de sa charité.

Toute sa vie, Marie a été attentive au bien de ceux qu’elle a côtoyés. A Cana, c’est elle qui prévient Jésus : « ils n’ont plus de vin ». C’est aussi parce qu’elle est pleine d’amour que Marie a accepté de prendre pour fils Jean au pied de la croix, et chacun d’entre nous au moment de notre baptême. Sur les icônes de la Dormition, on voit toujours les apôtres rassemblés autour d’elle, une façon de signifier que tous ses enfants pourront être glorifiés avec elle.

 

Frères et sœurs, avec la Vierge Marie, exaltons le Seigneur et exultons en Dieu notre Sauveur. Sa présence dans la maison de Zacharie a entraîné l’exultation d’Elisabeth, une pauvre du Seigneur, mais aussi des deux enfants qui étaient dans leurs entrailles. Soyons pauvres nous aussi, ressemblons à des enfants et rendons grâce à Celui qui veut nous assumer dès maintenant et qui, au dernier jour, nous rassemblera tous dans sa gloire auprès de Lui, avec notre Mère et tous les saints. Le Puissant fait pour nous des merveilles, Saint est son nom !

P. Arnaud

[i] « Tout est grâce », a dit la petite Thérèse : Marie a vécu chaque instant de son existence avec cette conviction profonde.

 

[ii] C’est ainsi que Paul a pu affirmer que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28)

 

[iii] Ex : Ap 12,9. Grignion de Montfort écrit: « L’antique serpent appréhende plus Marie, non seulement que tous les anges et les hommes, mais, en un sens, que Dieu même. Ce n’est pas que la puissance de Dieu ne soit infiniment plus grande que celle de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées, mais c’est surtout parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d’être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l’humilie plus que le pouvoir divin ».

 

[iv] Peinte entre 1605 et 1606, elle est conservée dans l’église Saint Augustin. Dans cette peinture et d’autres qui la montrent foulant le serpent à ses pieds, elle ne semble pas lutter. En terrassant le dragon, Saint Michel est actif, brandit la lance ou l’épée. Notre-Dame, au contraire, se tient sur le serpent comme s’il n’était pas là. Elle lui ôte jusqu’au prestige du combat.