Cherchez d’abord le Royaume

Frères et sœurs, que cherchez-vous ? Cette question que Jésus pose à ses premiers disciples (Jn 1,38), il la pose à chacun d’entre nous. Cherchons-nous la richesse ? la gloire ? le bien-être ? le plaisir ? la santé ? A moins de vouloir ressembler aux moines bouddhistes, pour qui tout désir doit être éteint (afin d’éviter toute souffrance), nous avons tous des aspirations, qui sont autant de moteurs et de gouvernails pour nos existences. Mais la question est de savoir s’ils nous font aller dans la direction du bonheur, ou au contraire nous en éloignent. Au cœur de son discours sur la montagne, Jésus a dit clairement : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. » (Mt 6,33) Comment effectuer cette recherche ? Avec émerveillement, détermination et prudence. C’est ce que le Christ nous enseigne aujourd’hui à l’aide de trois paraboles. La première nous révèle que le Royaume des cieux est à accueillir comme un trésor que l’on découvre dans un champ, c’est-à-dire comme une grâce. La deuxième nous invite à rechercher activement ce Royaume, comme des négociants en quête de perles fines. La troisième nous appelle à être vigilants pour savoir rejeter le mal : autrement, nous pourrions ne jamais entrer dans ce Royaume, et être jetés « dans la fournaise », là où « il y aura des pleurs et des grincements de dents ».

 

 Premièrement, le Royaume des cieux doit être recherché avec émerveillement, car il est avant tout une grâce à accueillir. « Nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier. » (1 Jn 4,19) « Je suis à la porte et je frappe. » (Ap 3,20) Jésus nous révèle l’amour prévenant de Dieu à l’aide de la parabole du trésor. Celui qui le découvre n’a aucun mérite particulier, si ce n’est celui d’avoir labouré son champ (ce que Lafontaine indique magnifiquement dans sa fable, Le laboureur et ses enfants)[i]. Mais il a l’intelligence de le cacher de nouveau et de vendre tout ce qu’il possède pour acheter le champ… Quel est ce trésor ? Nous l’avons dit il y a quelques minutes en récitant le psaume 118 : « Mon bonheur c’est la loi de ta bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent ». Le Christ, qui est la Parole (et donc la Loi) de Dieu, est le véritable trésor caché dans le champ (c’est-à-dire le monde).

Prenons des exemples. Le premier est celui du jeune roi Salomon. Alors qu’il était le fruit d’un adultère et d’un meurtre (commis par son père David), il aurait pu être « maudit » (songeons à la façon dont on traitait les « enfants du péché » dans le passé). Au contraire, le Seigneur le bénit abondamment, d’abord en lui apparaissant en songe à Gabaon. Il lui dit : « Demande ce que je dois te donner. » (1° lect.) C’est en réponse à ce premier pas accompli par Dieu que Salomon a l’intelligence et la sagesse de demander : « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal. » Deuxième exemple, la Vierge Marie, au moment de l’Annonciation, a su dire « oui » à la grâce qui lui était proposée. Au contraire, le jeune homme riche, lorsque Jésus lui a proposé  de vendre tous ses biens pour recevoir « un trésor dans les cieux » (Mt 19,21), a refusé de le suivre, et il est parti « tout triste ».  De même, dans la parabole du festin, beaucoup refusent l’invitation du Maître. Nous sommes libres d’accueillir ou non les grâces qui nous sont offertes, et qui sont nombreuses : « Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce. » (Jn 1,16) Nous devons cultiver l’esprit d’enfance car « quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas. » (Mt 18,3)

 

Le Royaume de Dieu est une grâce à accueillir, mais aussi à rechercher. Parfois, comme le Bien-aimé du Cantique des Cantiques, le Seigneur semble se cacher pour nous inciter à le chercher. C’est souvent la deuxième étape de la vie spirituelle : après les « consolations » abondantes reçues dans les premiers temps après la conversion, on est confronté à des « désolations ». C’est alors qu’il faut persévérer, à l’exemple de sainte Teresa de Calcutta qui connut cette sécheresse pendant des dizaines d’années. C’est ce à quoi Jésus nous exhorte avec la deuxième parabole, qui complète la première : « Le Royaume des cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle. » Trouver la perle de grande valeur peut demander beaucoup de temps et d’efforts, mais nous savons que « qui cherche trouve » (Mt 7,8). Il peut sembler fou de renoncer à tout et de concentrer toute sa richesse sur une petite perle, qu’on peut perdre si facilement. Mais cet homme est en quête d’absolu, il ne peut se contenter de perles de pacotille qui, pour des non-initiés, brillent comme les vraies, mais n’ont en fait qu’une faible valeur.

Prenons un nouvel exemple, celui de saint Paul. Après avoir été « trouvé » par le Christ (ce dont il n’a cessé de s’émerveiller), il l’a cherché lui-même avec détermination : « A cause du Christ, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des balayures, en vue d’un seul avantage, le Christ. » (Ph 3,8) La quête peut être parfois très difficile, et c’est pourquoi il nous avertit : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » (Ac 14,22) Mais Dieu se sert de tout, même du mal, pour nous aider à trouver la perle de grand prix : « Quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (2° lect.) C’est dans ce sens que la petite Thérèse, fidèle au message de Paul, a pu écrire que « tout est grâce ».

Puisque le Royaume de Dieu est une grâce à accueillir et à rechercher, il peut ne pas être trouvé. Celui qui sème l’ivraie cherche à nous détourner de ce but, c’est pourquoi nous devons être vigilants. « Le Royaume des cieux est encore comparable à un filet qu’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. » A la fin du monde, il y aura un jugement, et certains seront « jetés dans la fournaise » : au-delà de l’image, nous comprenons que comme le jeune homme riche, nous pouvons refuser d’entrer dans le Royaume, et que nous connaîtrons alors comme lui la tristesse et la souffrance. Le roi Salomon, qui a demandé la Sagesse et l’a pratiqué au début de son règne, a ensuite détourné son cœur vers ses femmes étrangères (1R 11). L’apôtre Pierre, juste après avoir reconnu en Jésus le Messie, éclairé par le Père, a été repris très fermement par son Maître lorsqu’il voudra le détourner de sa mission : « Arrière Satan ! » Plusieurs fondateurs de communautés se sont laissés « piéger » … C’est dans nos choix de chaque jour que nous préparons notre éternité.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous invite à nous recentrer sur l’essentiel et à chercher le Royaume avec émerveillement, détermination et prudence. Le mot « vacances » vient du latin vacare, qui signifie « se vider ». Cet été, vidons-nous de tout ce qui nous encombre pour accueillir en nous le Royaume, qui est au milieu de nous. (Lc 17,21) Cherchons-le en particulier dans les Ecritures, à l’invitation de Jésus : « Tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. » Dans le trésor de son cœur, saint Matthieu a su tirer du neuf (les paroles de Jésus) et de l’ancien (celles de l’Ancien Testament). Nous aussi, amassons les richesses de la Bible, et partageons-les avec nos prochains. Loin de nous appauvrir, ce partage nous rendra toujours plus riches !

P. Arnaud

 

[i] A son époque, alors qu’il n’y avait pas de banques, on gardait ses économies et on les cachait le mieux possible, par exemple en les enterrant dans son champ. Il arrivait que le propriétaire meure sans avoir pu révéler son secret, ce qui explique que l’on pouvait ensuite le découvrir par hasard, comme ici le laboureur que le nouveau propriétaire du champ a embauché.