La paix soit avec vous

Frères et sœurs, vivons-nous dans la paix ? Tous, nous la désirons, mais tous aussi, nous éprouvons notre impuissance. Les guerres font des ravages, non seulement autour de nous, jusque sur notre continent européen, mais aussi en nous-mêmes parfois, lorsque notre esprit se déchire sous l’effet de la peur ou de la culpabilité… La paix est le 3ème fruit de l’Esprit Saint, juste après l’amour et la joie[i]. Elle est d’abord un don de Dieu, et c’est pourquoi elle est la première parole du Christ à ses disciples après sa résurrection, parole que les évêques reprennent comme salutation au début de chaque eucharistie : « la paix soit avec vous ». Mais elle est aussi une vertu, qui exige un combat : nous ne pouvons la recevoir que si nous acceptons de nous engager pleinement dans le combat spirituel, « aussi brutal que la bataille d’hommes » (Rimbaud). Jésus a dit à ses disciples, lors de son dernier repas : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. » (Jn 14,27) Plus tôt, il avait dit aussi : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Mt 10,34) Ce glaive, c’est celui de sa Parole, « plus coupante qu’une épée à deux tranchants… qui juge des intentions et des pensées du cœur. » (He 4,12) Que nous le voulions ou non, la paix du Christ est le fruit d’une conversion, qui nécessite un combat continuel. Contre quels adversaires ? Il y en a trois : Satan, le monde, et la chair.

 

Pour commencer, nous devons lutter contre celui que l’Ecriture appelle Satan (l’adversaire en hébreu) ou le diable (le diviseur en grec). Il apparaît dès le 3ème chapitre de la Genèse sous la forme d’un serpent, animal qui symbolise à la fois la ruse – il se cache facilement à nos regards – et le danger – il peut nous faire mourir. Il y réussit d’ailleurs puisqu’Eve et Adam se laissent piéger par lui et deviennent mortels. Dans l’évangile, Jésus le compare à « un homme fort ». Sa force est fondée sur le mensonge : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? »  (v.1), et le soupçon par rapport à Dieu : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux » (v. 4‑5) Il est fort, mais il ne peut résister au Christ, qui est infiniment plus fort que lui et qui l’a « ligoté » par sa victoire sur le péché et sur la mort. « Ligoté » signifie qu’il est toujours présent comme un chien en laisse et qu’il peut toujours nous nuire si nous nous approchons de lui et si nous l’écoutons. Souvenons-nous d’Ulysse, qui n’a été sauvé des sirènes que parce qu’il était attaché au mat de son navire et que ses compagnons s’étaient bouchés les oreilles pour ne pas entendre leurs chants.

Tous les chrétiens doivent lutter contre lui, mais certains saints ont dû mener un combat particulièrement rude. Saint Jean Marie Vianney, Padre Pio, Marthe Robin… en ont souffert jusque dans leur chair. Nous ne pouvons remporter le combat qu’en prenant comme arme la Parole de Dieu, comme nous le montrent Jésus lors des 3 tentations au désert et Marie qui sans cesse la « méditait dans son cœur »[ii].

 

Deuxièmement, nous devons lutter contre le monde. Le Pape François ne cesse de nous y inviter en évoquant « l’esprit mondain » qui existe aussi dans l’Eglise, chez les prêtres comme chez les laïcs. Jésus a dit à propos de ses disciples : « Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. » (Jn 17,16) Le monde peut représenter la société en général, mais aussi nos propres familles parfois. Dans l’évangile, celle de Jésus lui-même cherche à le freiner dans sa mission : « Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui, car ils affirmaient : ‘Il a perdu la tête’. » C’est pourquoi, lorsqu’on lui dit : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent », il répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? » Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »

Beaucoup de saints ont dû lutter pour se libérer de l’emprise de leur famille. Jeanne d’Arc quitta le foyer de ses parents pour accomplir sa mission, malgré leur désaccord. Thérèse d’Avila entra au couvent contre la volonté de son père. François de Sales entra au séminaire contre le désir de du sien, qui prévoyait pour lui une grande carrière juridique…

 

Troisièmement, nous devons lutter contre la chair. La chair ne représente pas le corps, qui est bon parce que créé par Dieu, mais toutes nos tendances égoïstes. Nous ne devons pas idolâtrer notre corps ou notre santé, comme notre société nous y pousse : « Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez. » (Ga 5,17) Aussi « ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. » (Ga 5,24) Nous ne devons pas avoir peur : « même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour » et « même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux » (2° lect.)

Les saints ont dû mener un combat parfois violent contre la chair. Benoit, alors qu’il vivait seul dans sa grotte de Subiaco, fut tenté de manière tellement forte qu’il alla se jeter nu dans un buisson d’épines. On lit dans ses biographies que « le sang qu’il versa affaiblit son corps et guérit son âme pour toujours » et que « le buisson s’est changé en un rosier ». Plus tard, François d’Assise connut les mêmes tentations et y répondit soit par le même remède, soit en se roulant dans la neige. Il s’adressait souvent à son corps, qu’il appelait « frère âne », pour l’apprivoiser comme on apprivoise un animal.

 

Pour conclure, frères et sœurs, prions le Seigneur de nous donner sa paix, comme nous le ferons lors du geste qui précèdera la communion. Elle est un fruit délicieux pour la personne qui la produit, mais aussi pour ceux qui sont autour d’elle. Or le monde souffre de l’absence de paix. Ecoutons saint Jacques : « D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre. » (Jc 4,1‑2) Nous devons nous convertir et combattre sans cesse, non seulement pour notre propre bien, mais aussi pour nos frères qui aspirent à la paix. Cependant, il nous arrive d’être vaincus et de pécher. Alors, souvenons-nous de la miséricorde infinie du Seigneur, toujours prêt à nous pardonner et relever. Le seul obstacle à son pardon ne peut venir que de nous. Voilà pourquoi Jésus dit que « si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours ». Blasphémer contre l’Esprit, c’est voir en Dieu un ami du mal, comme les scribes voient Jésus. C’est obéir au serpent qui veut nous faire douter de l’amour et de la miséricorde de Dieu. Que le Seigneur nous aide à combattre et à nous convertir, afin que nous goutions sa paix et que nous la transmettions à nos frères et sœurs de la terre.

P. Arnaud

[i] « Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi.» (Ga 5, 22‑23)

[ii] « Oui, tenez bon, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu. » (Ep 6,14 17)