Hosanna au plus haut des cieux !

Frères et sœurs, pourquoi avons-nous agité des rameaux au début de cette célébration ? Pourquoi ce geste est-il si populaire qu’il attire à la messe plus de monde qu’à toutes les autres fêtes chrétiennes ? D’abord parce que les rameaux sont des symboles de la vie éternelle, comme le buis qui reste toujours vert lorsqu’il est dans la nature. Ensuite parce qu’ils évoquent la fragilité de nos existences, particulièrement évidente en ce temps de guerre en Europe, comme les branches que nous accrochons habituellement à nos crucifix au-dessus des portes de nos appartements et qui finissent par jaunir et se flétrir au bout de quelques mois. Enfin, les rameaux signifient qui est notre véritable roi, rappelant l’intronisation de celui qui veut régner dans nos maisons et surtout dans nos cœurs : le Christ, que les disciples ont accueilli dans Jérusalem en criant : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Hosanna, qui signifie : « Sauve-nous, nous t’en prions ! », est un cri qui était lancé lors de plusieurs fêtes (Pâques, les Tentes…) et que nous lançons nous-mêmes lors de chaque eucharistie. Oui Jésus est bien le Fils de David venu pour nous sauver. Aujourd’hui, beaucoup ne saisissent pas la portée de ce salut. Aussi, voyons d’abord ce qu’il n’est pas, et ensuite ce qu’il est.

 

Le Fils de Dieu ne s’est pas incarné pour nous sauver de nos problèmes terrestres (même s’il le fait parfois). Dans l’esprit des Juifs de son époque, le messie était attendu pour libérer le peuple du joug des Romains. C’est pourquoi Barabbas (le fils du père étymologiquement), qui a utilisé les armes pour atteindre cet objectif, a été considéré par certains comme le messie. C’est pour qu’il n’y ait pas de méprise que Jésus a refusé pendant longtemps d’être considéré comme tel (d’où sa demande fréquente de ne pas le révéler, ce qu’on appelle le « secret messianique »). Certes, il est bien le messie tant attendu, le roi d’Israël et même de tout l’univers, comme nous le célébrons le dernier dimanche de chaque année liturgique. Mais tout comme Dieu avait fait sortir son peuple d’Egypte non pas tant pour le libérer de Pharaon que du péché, Jésus n’est pas venu pour sauver son peuple des Romains, mais toujours du péché… de façon définitive cette fois. Sa royauté n’est pas celle des puissants de ce monde, elle ne ressemble pas à celle de Pilate, le gouverneur romain, à celle d’Hérode, le roi de Galilée ou à celle souhaitée par Barabbas… Si aujourd’hui, en entendant les foules l’acclamer comme le messie, il ne leur demande pas de se taire, c’est parce qu’il n’est plus possible de se tromper sur sa véritable identité, comme les heures à venir vont le manifester de plus en plus.

Jésus ne rentre pas dans Jérusalem sur un grand cheval, mais sur un petit âne. On ne lui déroule pas le tapis rouge, mais on dépose devant lui des manteaux. Bientôt, les acclamations de la foule vont changer et devenir des cris de haine : « crucifie-le ! crucifie-le ! » Au lieu de juger ses sujets, comme le faisait Salomon ou comme le fera saint Louis au pied de son chêne dans la forêt de Vincennes, tout près d’ici, il sera jugé lui-même et condamné. Au lieu d’une magnifique couronne d’or et de diamants, il portera une couronne d’épines. Au lieu de porter les plus beaux vêtements, on le revêtira d’un manteau de couleur éclatante en signe de dérision, avant de le dénuder complètement. Au lieu de l’oindre avec les crèmes les plus douces, on le flagellera et on lui crachera dessus. Au lieu de l’installer sur une chaise à porteurs, c’est lui qui devra porter une lourde croix. Au lieu de l’asseoir sur un trône en métal précieux, il sera cloué sur une croix. Ainsi, Jésus est bien « le roi des Juifs », comme Pilate le fera écrire au-dessus de sa tête sur la croix, et même le roi de l’univers, mais pas à la manière du monde.

 

Comment le Christ nous sauve-t-il ? Pour commencer, par la vérité. Lorsque Pilate lui demande au moment de son procès : « “Alors, tu es roi ?” Jésus répondit : “C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix.” » (Jn 18,37) Rendre témoignage, en grec, se dit martyrios. A Pilate qui lui demande : « Es-tu le roi des Juifs ? », il n’esquive pas, bien qu’il sache que sa réponse peut lui valoir la mort, il répond : « C’est toi-même qui le dis. » Il sait pourtant que pour les Romains, il ne doit pas y avoir d’autre roi que César, comme les chefs du peuple le diront opportunément pour leur part ensuite : « Pilate leur dit : “Vais-je crucifier votre roi ?” Les grands prêtres répondirent : “Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur.” » (Jn 19,15) Si Jésus ne répond pas à Hérode qui lui pose « bon nombre de questions », c’est parce qu’il sait que cela ne servira à rien, Hérode étant trop superficiel pour comprendre ses réponses éventuelles… Comme Jésus, nous-mêmes sommes confrontés à une société enténébrée par le mensonge et les erreurs, non seulement en ce qui concerne l’actualité (songeons à toutes les fake news, particulièrement en ce temps de guerre) mais aussi sur des sujets plus profonds comme la différence sexuelle. Affirmer qu’elle n’est pas qu’une construction sociale et que vouloir changer de sexe est une folie devient héroïque !

Le Christ veut nous sauver par la vérité, mais aussi par l’amour. Cet Amour qui refuse la violence, symbolisé par le petit âne, s’exprime tout au long de la Passion. Songeons au serviteur du grand prêtre, à qui Pierre a tranché l’oreille, et que Jésus guérit. Songeons à Pierre, encore lui, qui a renié 3 fois Jésus, et sur lequel celui-ci pose un regard tellement plein de tendresse qu’il ne peut s’empêcher de pleurer amèrement ensuite. Songeons à tous les ennemis de Jésus, pour lesquels il prie sur la croix en disant : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »  Songeons au malfaiteur crucifié à côté de lui, et à qui il fait cette étonnante promesse : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » Cet amour de Jésus pour les hommes s’enracine dans son amour pour son Père. C’est à Lui, dans un total abandon plein de douceur, qu’il adresse ses dernières paroles : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Aujourd’hui, notre monde est ravagé par une violence à la fois verbale, physique, et spirituelle. Les principales victimes sont les plus fragiles, d’une part ceux qui sont dans le ventre de leur mère, d’autre part ceux qui sont affaiblis par l’âge et la maladie et que l’on pousse vers la mort, au lieu de leur apporter une aide active à vivre.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ veut nous sauver du mal, en particulier du mensonge et de la violence, par la vérité et par l’amour. A chaque fois que nous osons exprimer la Vérité, même et surtout devant ceux qui voudraient nous faire taire, nous acclamons le Christ comme notre sauveur et notre roi. A chaque fois que nous aimons nos frères, même et surtout ceux qui nous ont fait du mal, nous acclamons le Christ comme notre sauveur et notre roi. Mais à chaque fois que nous usons de mensonge ou que nous taisons la vérité, nous re crucifions Jésus. Et à chaque fois que nous refusons d’aimer et de pardonner, nous re crucifions Jésus. « Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde », a écrit Pascal. Pendant les jours et les mois à venir, regardons souvent les rameaux accrochés à nos murs et demandons-nous si nous laissons véritablement le Christ nous sauver et si nous sommes prêts à donner nos vies pour témoigner de la vérité et pour aimer notre prochain (surtout s’il nous est hostile). Et si nous sommes tentés de crucifier le Christ à nouveau, crions de toutes nos forces « Hosanna au plus haut des cieux » ! Seigneur, sauve-nous !

P. Arnaud