L’analyse du P. Simon de Violet, aumônier

Les JMJ dans le doyenné Picpus-Bercy

 

Les grands évènements, malgré la baisse de la pratique en Europe, continuent à bénéficier d’un certain engouement et leur succès demeure vif dans l’Eglise. Ainsi, les Journées Mondiales de la Jeunesse, fondées en 1984 par saint Jean-Paul II, attirent encore largement. Cette année, les diocèses du monde se ont retrouvés à Lisbonne entre la fin du mois de juillet et le 7 août – l’occasion de revenir sur cet évènement, son amplitude pour notre diocèse, ses enjeux.

 

Les JMJ en quelques chiffres

 

À Paris seul, 4500 jeunes environ sont partis ainsi pour les JMJ cette année à Lisbonne. Une soixantaine de groupes se sont inscrits, regroupés dans la moitié des paroisses, allant de 9 à plus de 535 personnes (pour le groupe étudiant EVEN), ainsi que certaines communautés religieuses, communautés étrangères, patronages et divers groupes indépendants. L’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, ainsi que, Mgr Philippe Marsset, évêque auxiliaire, ont suivi le pèlerinage. Parmi les jeunes qui partent, 58% furent des femmes et 42% des hommes, avec un âge médian de 21 ans. Plus de 75% des inscrits avaient en effet entre 18 et 25 ans, 7% entre 26 et 30 ans, et seulement 4% plus de 30 ans (on pouvait s’inscrire jusqu’à 35 ans). 10% des inscrits faisaient partie des accompagnants, clercs (127 religieux dont 90 prêtres de Paris) ou laïcs.

 

Le diocèse de Paris a offert un programme complet comprenant le transport, le logement et la nourriture, ainsi que diverses propositions d’animations spirituelles et fraternelles. Le prix de départ était de 610€ par personne, et augmentait graduellement au long des mois. Trois routes principales étaient déclinées : une de 17 jours (4% l’ont choisie), une de 12 jours (74%) et une courte de 6 jours (22%). On pouvait enfin partir avec une route entièrement personnalisée.

 

Le choix du doyenné

 

Nos paroisses du 12e arrondissement ont fait le choix de partir en doyenné, qui nous semble un véritable format d’avenir pour notre pastorale. Cette configuration permet notamment de rassembler les forces, mutualiser les besoins et créer un élan missionnaire positif. Ainsi, nous sommes partis à 64 inscrits dont 4 prêtres de 7 groupes différents (paroisses et aumôneries étudiantes). Dans notre groupe, plusieurs personnes laïques ont également des postes de responsabilité divers (responsable de groupe, responsable logistique, spirituel, administratif, santé, car, communication). Ces responsables ont travaillé au détail du programme des JMJ, notamment pour les temps libres à combler.

 

La préparation des jeunes à cet important pèlerinage s’est faite à trois échelles : par la paroisse avant tout, lors de petites rencontres de notre sous-groupe, où chacun ou presque se connaît déjà. Ensuite, par notre doyenné, puisque nous avons organisé 4 rencontres rythmant l’année en s’appuyant sur les fêtes liturgiques mariales, particulièrement l’Annonciation et la Visitation, thème des JMJ de cette année. Habituellement, nous nous rencontrions pour une messe suivie d’un temps fraternel autour d’un buffet partagé, puis d’un temps de présentation des dernières informations avec questions-réponses. Pour encourager la fraternité, nous avons également proposé des temps d’échanges et de rencontre plus personnelle (film, chant, danse, etc.). Au niveau du diocèse enfin, quelques rencontres ambitieuses étaient également proposées, mais n’ont pas toujours déplacé de grandes foules. Il est prudent de relativiser ici l’importance des rencontres anticipatrices : c’est surtout (et parfois uniquement) sur place que tout se joue, si l’on fait confiance au souffle de l’Esprit.

 

Il est vrai cependant que plusieurs enjeux se sont laissés identifier dans la parole des jeunes de notre groupe, révélant certaines de leurs attentes : s’enraciner davantage dans la foi, participer à un dynamisme et une identité diocésaines, grandir en fraternité, en responsabilité, apprendre à servir et à rencontrer l’autre. Cela nous amène donc maintenant à aborder plus en détail la question de la jeunesse catholique en France.

 

Les JMJ en France : enjeux et défis

 

Les Journées Mondiales de la Jeunesse représentent pour notre paroisse à la fois une étape, une opportunité et un défi.

 

Il s’agit d’abord d’une étape à double titre. D’abord, parce qu’un grand nombre de nos jeunes ont déjà participé à des rassemblements (fêtes, processions, pèlerinages, rassemblements œcuméniques comme à Taizé, rassemblements de collégiens ou lycéens comme le FRAT…), mais rarement à l’échelle de celui des JMJ, habituellement entre 1 et 2 millions de personnes assemblées dans un même endroit en Europe (en l’occurrence, 1,5 millions estimés à Lisbonne). Il s’agit donc d’une étape dans la vie chrétienne en croissance, d’une sorte de point haut en termes purement numéraires. Mais il s’agit aussi d’une étape singulière, car c’est le seul rassemblement qui puisse offrir aux jeunes un panorama aussi complet en termes géographiques (les jeunes venant littéralement du monde entier), en termes générationnels (l’écart d’âge allant de 18 à 35 ans, ce qui est beaucoup pour un jeune), mais aussi en termes vocationnels (la plupart des états de vie pouvant se croiser et se brasser durant les JMJ).

 

Cette étape dans la vie offre alors plusieurs opportunités. En plus de celles déjà citées, attardons-nous sur l’opportunité de voir se construire un sentiment de communion ecclésiale. Les JMJ représentent en effet, avec les grands pèlerinages internationaux comme les grandes canonisations ou jubilés de l’Eglise, l’un des seuls lieux où se vit très concrètement la catholicité de l’Eglise, son universalité au sens le plus explicite. Tous ceux qui ont déjà participé aux JMJ se souviennent, parfois avec une certaine émotion, des personnes si nombreuses croisées sur les routes souvent aventureuses de ce pèlerinage. Cette rencontre internationale prolongée, d’une intensité renforcée par l’inconfort que l’on peut également parfois souffrir sur place, offre aux jeunes une occasion unique de « sortir » vers les périphéries d’un monde dont un français visitera souvent les lieux, mais pas les personnes. Au Portugal en effet, beaucoup ont été touchés par leur rencontre avec un peuple généreux, chaleureux, sincèrement accueillant.

 

Ensuite, il y a bien-sûr l’opportunité spirituelle de renforcer sa vie de prière par l’acquisition d’un goût pour l’oraison « collective », qui conduit ensuite, on peut l’espérer, à revenir à l’essentiel de la prière en commun : les offices, les louanges, mais surtout la messe, « source et sommet de toute la vie chrétienne.[1] » Enfin, on peut retenir aussi l’opportunité de discernement, les grands rassemblements permettant souvent à l’Esprit de souffler dans le cœur des croyants. Il y a là une opportunité moins collective que personnelle : pour bien des jeunes, les JMJ peuvent représenter un moment où la vocation – dans sa diversité – se dessine plus clairement. Bien des séminaristes ont parlé des JMJ comme d’un lieu où la voix de Dieu, au milieu du bruit de la jeunesse, s’est faite entendre dans un kairos souvent inattendu mais profondément marquant, à l’âge où, sortant plus ou moins rapidement de l’adolescence, le cœur du jeune s’ouvre à des échos nouveaux et gagne en maturité. Voilà ce que peut produire en effet le contact avec le réel.

 

Ces opportunités spirituelles, vocationnelles et de communion peuvent aussi bien profiter aux jeunes qu’aux accompagnateurs, qu’ils soient clercs, laïcs, consacrés, des nombreux diocèses du monde qui se retrouvent dans un même lieu pour quelques journées bien chargées.

 

Je viens maintenant à un défi particulièrement contemporain, celui de synodalité. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur l’importance de ce qui, pour le pape François, devrait devenir synonyme de l’Eglise elle-même. Il nous prévient toutefois des risques de « faire du synode une sorte de groupe d’étude, avec des interventions cultivées mais abstraites sur les problèmes de l’Église et sur les maux du monde où l’on procède de manière superficielle et mondaine, pour finir par retomber dans les classifications stériles idéologiques et partisanes habituelles, et se détacher de la réalité du peuple saint de Dieu, de la vie concrète des communautés dispersées à travers le monde.[2] » C’est là un risque qui, dans nos paroisses vieillissantes d’Europe, a pu être constaté souvent. Avec les JMJ, l’occasion a été donnée aux jeunes – qui représentent d’une manière ou d’une autre l’avenir de l’Eglise – de toucher très concrètement du doigt la réalité de l’Eglise répandue sur toute la terre, avec ses spécificités, ses habitudes liturgiques ou pastorales, sa compréhension de la fraternité, de la morale quotidienne ou de la vie de foi, le tout sous la présidence bienveillante du Serviteur des serviteurs de Dieu.

 

La fragilité de la vie chrétienne dans le monde post-moderne occidental, ses joies et ses espérances parfois fissurées par la honte des scandales, des divisions et des nouvelles idéologies clivantes, font que les jeunes de France, en ces jours incertains, peuvent profiter plus durablement qu’on le pense parfois d’un rassemblement aussi revigorant que les JMJ, avec leur esprit de joie et de fraternité missionnaire. Alors que les jeunes chrétiens français perdent chaque année un peu plus en visibilité – au point que la culture chrétienne elle-même, détachée de sa foi des origines, est progressivement amoindrie et grignotée par ses élites devenues étrangères à toute transcendance, les JMJ restent avant tout un lieu qui permet de sortir de son décor pour découvrir que les frontières de l’Eglise sont plus larges et plus diverses qu’on peut l’imaginer au quotidien. De ce côté-là, l’édition de Lisbonne a été un réel succès.

 

Il ne s’agit pas seulement de changer de regard, mais de changer de cœur pour se disposer à la mission. A priori, les temps n’y sont pas aujourd’hui particulièrement favorables chez nous : selon un sondage de mars dernier, en 2019-2020, 29 % des personnes âgées de 18 à 59 ans en France se déclarent catholiques, 10 % musulmanes et 10 % se déclarent affiliées à d’autres religions, tandis que 51 % se disent sans religion[3]. Plus de la moitié des personnes interrogées se déclarent donc, pour la première fois en France, sans appartenance religieuse. La chute, si elle ne surprend pas, inquiète : selon la précédente étude portant sur 2008-2009 et sur les 18-49 ans, ils étaient 43 % à se revendiquer catholiques. Par ailleurs, la pression venue du protestantisme (surtout évangélique) est devenue importante : évaluée à 2,5 % il y a dix ans, elle représente désormais 9 % des sondés en 2019-2020. Il faut noter que ce mouvement n’est pas étranger aux flux migratoires dans notre pays, car « plus de 40 % des personnes immigrées originaires d’Afrique centrale disent appartenir à une confession chrétienne différente du catholicisme[4]. »

 

Les JMJ représentent donc un défi de mission particulièrement important, alors que la volonté originelle de saint Jean-Paul II, en créant l’évènement, était précisément de donner de la visibilité à la jeunesse catholique. Le Seigneur a bien laissé cet ordre ultime en héritage à ses disciples : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples… baptisez-les… enseignez-leur[5] » Parce que les JMJ permettent de contempler et de célébrer les fruits de plusieurs siècles d’inculturation et de transmission de l’évangile à travers le monde, elles donnent aussi de voir tout ce qu’il reste à faire d’ici le retour du Sauveur – en commençant par notre propre cœur à la prière, à la louange, à la fraternité et à l’effort missionnaire.

 

P. Simon de Violet

 

Le P. Simon de Violet, 36 ans, a été ordonné prêtre en 2020 pour le diocèse de Paris. Vicaire à la paroisse du Saint-Esprit (Paris 12e), il accompagne divers groupes de jeunesse et particulièrement le groupe JMJ de son doyenné comme aumônier. Il entame une licence canonique de théologie en 2023.

[1] Lumen Gentium, n° 11.

[2] Discours pour le temps de réflexion pour le début du processus synodal, 9 octobre 2021.

[3] Enquête Trajectoires et Origines, citée par l’Insee dans son rapport publié jeudi 30 mars 2023.

[4] La Croix, Comment l’immigration transforme le paysage religieux en France, M. Lasserre, 30.03.2023.

[5] Mt 28,19-20.